Une petite dizaine de participants se sont rassemblés, samedi 22 juin, à 9h30, pour une balade ornithologique à Balazuc, au départ du Muséum de l’Ardèche. Nous étions accompagnés par Ugo, médiateur scientifique au sein de l’association, et passionné par les oiseaux et les insectes.

Traversée du village

Après s’être équipé de jumelles, notre petit groupe entame sa marche vers le village. A peine avons-nous fait trois pas qu’Ugo se penche déjà pour ramasser, au sol, une lucane cerf-volant, qu’il nous montre aussitôt. C’est une femelle, qui, contrairement au mâle, n’a pas d’impressionnantes mandibules, mais n’en est pas moins un gros coléoptère. Si les mâles ont de si grosses mandibules, c’est notamment pour se battre et gagner les faveurs de la femelle. 

Petite lucane femelle dans la main d’Ugo

Nous reprenons notre marche vers le village de Balazuc, que nous traversons en direction de la plage. Arrivés sur la place de la petite église en partie basse, nous nous arrêtons quelques instants pour observer les martinets et les hirondelles qui passent au-dessus de nos têtes. Ces deux familles d’oiseaux se distinguent grâce à leurs ailes : les martinets ont des ailes arquées, presque en forme d’arc de cercle. Les hirondelles, elles, ont des ailes plutôt en forme de petit triangle. Les martinets sont aussi plus grands, mais ce n’est pas toujours facile à distinguer vu de dessous. Les martinets passent 95% de leur temps de vie en vol, et se posent donc très peu. D’ailleurs, leur nom de genre, “apus”, veut littéralement dire “sans pied”. Dans le village de Balazuc, nous voyons surtout des martinets noirs, mais aussi quelques hirondelles de fenêtre, reconnaissables à leur ventre et croupion blancs.

Des hirondelles de fenêtre récoltant de la boue pour construire des nids. Photo d’Adrien Baillargeau

Des nids d’hirondelles sont visibles, blottis sous la courbure des tuiles de quelques bâtiments. Ces nids, constitués de boue séchés, sont souvent suffisamment solides pour résister à l’hiver et être toujours présents pour les hirondelles l’année suivante. Ainsi, chaque année, certains sont reconstruits, d’autres abandonnés. Dans un nid, on peut voir la tête de petits sortir, observant l’extérieur. Les petits des hirondelles sont pourvus de becs à l’intérieur jaune vif, qui servent de cible aux parents quand ils reviennent au nid pour les nourrir. La vivacité de la couleur dépend de la vigueur de l’oisillon, et donc l’oisillon le plus développé est souvent le premier servi, ce qui crée une sélection dans les petits de l’année. 

Du nid à côté de celui que nous observons, un autre oiseau surgit, mais ce n’est pas une hirondelle ! C’est un petit passereau, que nous n’avons pas pu identifier, qui a emprunté un nid d’hirondelle abandonné pour s’y installer. Les passereaux ont souvent tendance à récupérer de vieux nids d’autres oiseaux. 

En sortant du village, nous prenons le pont traversant l’Ardèche, et nous nous arrêtons pour observer les oiseaux au bord de la rivière. Nous voyons des hirondelles, à la fois de fenêtre et de rocher, s’abreuver au bord et au-dessus de l’eau. Les hirondelles de rocher sont brunes, et il est possible de voir des stries blanches sur leurs ailes et leur queue quand elles étalent celles-ci. 

Vue depuis le pont de Balazuc

Un héron arrive sur un des rochers parsemant la rivière, comme s’il prenait la pose pour que nous l’observions avec nos jumelles. Le héron se nourrit d’amphibiens et de petits poissons qu’il chasse dans l’eau. Il n’est pas possible de distinguer les mâles et les femelles à l’œil nu : on dit qu’ils ne présentent pas de dimorphisme sexuel. Le dimorphisme sert aux mâles à la période nuptial, mais de vives couleurs permettent aussi de faire du mâle une cible, afin que la femelle soit moins prédatée. Le héron n’ayant pas ou peu de prédateurs, il n’a pas besoin de ce type de subterfuge.

Arrivée au bord de l’Ardèche

En repartant pour se diriger vers le bord de la rivière, nous croisons des millepattes sur le bord de la route. Quand ils se sentent menacés, ils se roulent en boule et sécrètent un liquide nauséabond pour dissuader les prédateurs de les manger. Les millepattes font partie des premiers arthropodes, qui, il y a environ 430 millions d’années, sont sortis de l’eau et ont développé un système respiratoire adapté à l’air. 

Un peu plus loin, en avançant sur le chemin, nous apercevons des guêpiers d’Europe, un des oiseaux les plus colorés de France. Ils nous visitent seulement l’été, tout comme les hirondelles et les martinets. Les guêpiers sont grégaires, et habitent des terriers dans des falaises, dans lesquels ils font leur nid. Ils utilisent souvent des cavités déjà creusées par l’eau, comme le fait l’Ardèche dans ses falaises. Les guêpiers sortent tôt le matin et se posent dans des arbres exposés au soleil, pour se réchauffer, car les terriers peuvent être particulièrement froids et humides la nuit. Il faut donc venir suffisamment tôt pour pouvoir les voir, et nous avons de la chance de les apercevoir aujourd’hui. 

Guêpier d’Europe mâle en vol. Photo de S. Wroza pour l’INPN (Guêpier d’Europe)

Il faut donc habituellement se lever tôt pour observer les oiseaux, et nous venons légèrement tard pour pouvoir en voir en nombre. Les oiseaux sont plus à l’aise tôt dans la journée que nous, en raison de leur plumage très isolant. Un autre moyen pour pouvoir observer plus facilement des oiseaux est celui de les attirer sur le lieu grâce à des chants enregistrés et diffusés sur le lieu où on veut les observer. En diffusant les chants, ou “contacts” plusieurs jours à l’avance, les oiseaux finissent par revenir par habitude sur le lieu. C’est évidemment une pratique que nous déconseillons totalement, et que nous n’utiliserons jamais, d’autant plus à l’attention d’espèces en danger comme le guêpier ! En effet, cela les perturbe dans leur reproduction, quand ils ont terriblement besoin de ces moments pour bien maintenir leur espèce. 

Une fois au bord de la rivière, nous nous mettons à l’affût. Peu d’oiseaux passent pour l’instant : une buse variable, quelques choucas des tours contre la paroi des falaises. Les choucas sont souvent confondus avec les corneilles noires, mais ils sont en réalité plus petits et plus trapus, avec un œil clair. La différence n’est pas toujours évidente de loin, mais c’est leur chant qui les distingue : il fait penser à des bruitages, même presque à des lasers tout droit sortis d’un film de science fiction. 

Choucas des tours. Photo de S. Wroza pour l’INPN (Choucas des tours)

En s’approchant du bord de l’eau, nous voyons une libellule posée sur un rocher, ses ailes bien étalées de chaque côté de son corps. Cette caractéristique la distingue des demoiselles, qui ont les ailes pliées et jointes quand elles se posent. La libellule que nous observons est un mâle, on le voit à sa pince au bout de son abdomen, qui lui sert à tenir la femelle pendant l’accouplement. Leur vie adulte est d’ailleurs principalement dédiée à l’accouplement, et certaines espèces ont une durée de vie adulte très courte. Celle que nous observons est sûrement déjà en fin de vie. Une de ses ailes est abîmée, l’empêchant sans doute de voler aussi précisément qu’auparavant. Certains insectes, comme l’éphémère, ne vivent même que quelques jours, voire moins d’un jour. Certains n’ont donc même pas de tube digestif, car ils ne vivent pas assez longtemps pour se nourrir.  

Une libellule onychogomphe à pinces mâle, observé sur un rocher au bord de la rivière

Les oiseaux volant sur de longues distances, lors de leur migration, doivent faire d’importantes réserves pendant l’été, car ils ne peuvent pas ou peu s’arrêter lors de la migration, particulièrement quand ils survolent l’océan. Certains oiseaux, quand ils n’ont plus de réserves, finissent alors par digérer leurs propres organes pour pouvoir continuer. Une fois arrivés en Afrique, ils refont des réserves afin de pouvoir continuer à voler vers leur destination. Mais s’ils n’ont pas le temps de retrouver à manger, il peut arriver que des caravanes entières d’oiseaux tombent de fatigue au-dessus de la mer. En plus, la traversée de la mer est épuisante, car elle ne peut pas se faire en vol plané par les oiseaux, seulement en vol battu. Certains oiseaux ont alors trouvé une solution depuis quelques années, ils ne vont plus jusqu’en Afrique, mais le long des côtes espagnoles, car les températures y sont déjà assez chaudes en raison du réchauffement climatique. Dans le même genre, des vautours percnoptères se sont installés à l’année sur l’île de Socotra, car celle-ci a la température idéale toute l’année. 

A l’affût

En attendant de voir des oiseaux passer, Ugo nous présente dans un beau livre illustré différentes espèces de rapaces pouvant être observées en Ardèche. 

Il commence par la vautour fauve, qui a failli disparaître en France. Il avait une très mauvaise image dans ses zones d’habitation, qui n’avaient pas sa conservation. Grâce à des campagnes d’information et à la mise en place de placettes lui permettant de se nourrir sur des carcasses de brebis, sa population a pu augmenter ces dernières années, et un petit est né en Ardèche l’année dernière !

Les milans, qui se repèrent bien grâce à leur queue fourchue, sont bien présents dans le département, notamment le milan noir, qui est migrateur, et le milan royal, qui reste à l’année. Les milans ont aussi la particularité d’être des spécialistes du vol plané, et ils s’appuient surtout sur cette capacité pour voler. 

En Ardèche sont aussi présents les trois grands aigles de France : l’aigle royal, l’aigle botté, et l’aigle de bonelli. Des faucons sont aussi présents, notamment le faucon crécerelle, un des plus petits rapaces, mais qui n’en est pas moins très rapide. Son cousin, le faucon pèlerin, est ainsi l’animal le plus rapide du monde. Il est capable de faire des pointes de vitesse, en piqué, à au moins 130 km/h, mais l’un d’entre eux a déjà été enregistré à une vitesse de 389 km/h.

Le gypaète barbu peut aussi être aperçu, avec de la chance, en Ardèche. Il est bien reconnaissable avec son cou orange… qui n’est pas sa couleur naturelle ! En effet, on a pu observer qu’en captivité, le gypaète est noir et blanc. Il obtient sa couleur rousse en faisant des bains de boue ferreuse, dont on ignore l’utilité. Le fer lui donne alors une coloration rouille. De plus, cette activité est instinctive pour ces animaux : si des gypaètes nés en captivité sont pourvus d’un bain de boue, ils s’y trempent volontiers. 

Ugo nous enjoint à nous rapprocher de la rive afin d’observer d‘éventuels oiseaux près de l’eau, de l’autre côté. Et effectivement, quelques temps après, sur l’autre rive, à 25 mètres, se trouve un martin pêcheur. C’est la première fois qu’Ugo en voit un ici, et il est très heureux de pouvoir nous le montrer. Le martin pêcheur est un oiseau qui plonge dans l’eau, afin de pêcher des poissons dont il se nourrit. Une bergeronnette se balade aussi près de lui, avec son mouvement de balancier caractéristique. 

Nous nous sommes approchés de l’eau, et sur les rochers à moitié trempés, nous repérons des libellules tout juste émergées et qui se sèchent les ailes. D’autres sont aussi en train de sortir de leur mue, lentement et délicatement. Ugo sort une de ces mues de l’eau, afin que nous puissions bien l’observer. Les larves de libellules vivent en effet dans l’eau, où elles chassent de plus petites proies, donc d’autres petites larves de différents insectes. Elles ont notamment une pince sous la tête, qui se projette en avant pour attraper leur proie. La mue a aussi des ébauches d’ailes sur le dos, là où ces futurs organes se forment. Les insectes muent car leur squelette est extérieur, et ne peut donc pas grandir comme notre peau. Ils doivent donc sortir de leur ancienne peau, de leur ancienne carapace, pour pouvoir déplier leur corps qui a grandi, mais aussi changé. La libellule, en muant pour devenir adulte, perd par exemple sa pince qui lui servait à attraper ses proies dans l’eau. 

1. et 2. Emergence d’une libellule. On peut en partie voir la mue dans l’eau; 3. Libellule tout juste émergée, en train de sécher. Ses couleurs ne sont pas encore apparues; 4. Mue de libellule sèche, sur un rocher.

Après ce superbe spectacle, nous remontons finalement pour finir la balade. Les guêpiers nous saluent à nouveau sur le chemin, de leur silhouette caractéristique. Il est possible de distinguer les mâles et les femelles en les voyant planer puisque le mâle a deux plumes supplémentaires au milieu de la queue. Elles sont un indicateur, notamment pour les femelles, de leur santé, qui est bonne si elles sont belles et lustrées.

Retour au Muséum

En remontant dans le village, nous apercevons un rougequeue. Ces oiseaux nichent aussi dans le village, comme les martinets et les hirondelles. Ce sont au départ des oiseaux de falaise et des voltigeurs, qui se plaisent donc dans les villages de vieilles pierres. Une espèce particulière de rougequeue est le rougequeue à front blanc, plus rare et plus difficile à observer, et dont une famille niche à Balazuc. Les rougequeues forment des couples très fidèles, mais où le mâle se jette au-devant du danger pour protéger la femelle. Il utilise son dimorphisme sexuel, avec ses couleurs plus contrastées, pour servir de cible dans le cas où le nid serait menacé. Il cherche alors à attirer l’attention de l’animal source de danger, en faisant du bruit et en volant proche de lui, puis il s’éloigne dans la direction opposée au nid afin de l’en écarter. 

Rougequeue à front blanc mâle. Photo de S. Wroza pour l’INPN (Rougequeue à front blanc)

Plus loin, près d’une petite chapelle, nous voyons aussi un papillon sphinx voletant dans un bouquet de fleurs et de graminées. On a longtemps pensé que ce papillon était en fait une sorte d’oiseau très petit. Les colibris, par exemple, font presque cette taille. Et parce qu’ils volent très rapidement et tout le temps, les colibris sont aussi obligés de se nourrir en permanence. Généralement, plus on est petit, et plus on a besoin de petites quantités de nourriture de façon très régulière. 

Les oiseaux sont capables d’émettre des chants, mais aussi des cris. Les cris sont des notes seules, et peu agréables, contrairement aux chants qui sont un assemblage de notes, souvent plus mélodieux. 

Nous finissons la balade devant le Muséum, qui compte aussi des oiseaux, dont un des premiers à avoir existé : Confuciusornis, “l’oiseau de Confucius”, découvert en Chine. Il a vécu il y a 120 millions d’années, et à cette époque il volait déjà et avait aussi un dimorphisme sexuel. A ce dernier arrêt, Ugo nous présente alors les différents types de plumes que les oiseaux possèdent.

Confuciusornis dui, spécimen datant du crétacé inférieur, découvert dans la province du Liaoning, en Chine.

Les plumes

Pour commencer, Ugo nous présente quelques spécificités générales d’une plume. Elle a un axe central, avec des traits qui en partent : ce sont les barbules. Les barbules ont des crochets à leur extrémité, leur permettant de s’accrocher les unes aux autres et de rendre la plume lisse. Une plume lisse est imperméable et permet d’avoir de la portance pour pouvoir voler. 

En premier, Ugo nous présente le duvet : ce sont les premières plumes à apparaître chez les oisillons. Elles sont un très bon isolant, et encore présentes chez les adultes, mais légèrement transformées. Le duvet sert aussi à grossir le plumage, notamment lors de la parade. 

Les rémiges, ensuite, sont les plumes de vol qui se répartissent sur les “bras” des oiseaux. Au niveau de ce qui serait notre main, ce sont les rémiges primaires, au niveau du bras les rémiges secondaires, et au niveau de l’épaule, les rémiges tertiaires. Les rémiges secondaires servent à la portance des ailes, et les rémiges primaires servent à la direction. Ce sont elles qui donnent un effet de main, ou de doigts, quand les oiseaux les écartent en volant. 

Une rémige de pic épeiche

Les demi-plumes, ou plumes de couverture, sont rigides au début et flexibles à la fin. Elles sont souvent du duvet qui a grandi.

Pour finir, les plumes rectrices sont des plumes longues, avec un axe central rigide, et sont aussi larges d’un côté que de l’autre, contrairement aux rémiges. Elles se trouvent au niveau de la queue et servent à se diriger, d’où leur nom.


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