Samedi 1er juin, plus de 30 personnes se sont retrouvées pour aller longer les gorges de la Louyre, entre Lussas et Saint-Laurent-sous-Coiron.

Arrivée dans les gras

Après un premier rassemblement à la mairie de Lussas, Alain et Jacqueline Claudin, qui nous guidaient pour cette balade, nous ont conduit en voiture dans un champ au départ du chemin que nous allions suivre le long des gorges de la Louyre. Le lieu est bien verdi grâce à ce printemps pluvieux, et le temps était évidemment changeant.

La Louyre est une rivière se jetant dans l’Ardèche près de l’Oppidum de Jastres. Le nom de cette rivière a par ailleurs une prononciation bien particulière, et qui a donné du fil à retordre à certains participants pendant une partie de la balade ! En effet, elle ne se dit pas « lou-i-re », mais « louille-re », avec un son [j] (« ieu ») au lieu d’un son [i]. Alain nous informa aussi que nous allions croiser un autre cours d’eau, le ruisseau de l’Eyrolle, plus loin dans la balade.

Lussas est habituellement citée pour ses dolmens, qu’Alain connait très bien : il les a inventoriés. Lussas a d’ailleurs une enclave sur la commune de Vesseaux, dans laquelle sont dressés 36 dolmens, dont 5 sont situés sur la partie de son territoire se trouvant de l’autre côté de la Louyre.

Nous commençons par longer le canyon se jetant dans la Louyre. Ce canyon est fait de gras, c’est-à-dire une roche calcaire datant du jurassique supérieur, qui se reconnait à sa couleur très claire, et qui est souvent à l’origine de paysages ruiniformes, faisant penser à des ruines. On peut observer ce type de forme à Balazuc, ou au bois de Païolive près des Vans. C’est aussi un milieu typique pour les grottes, ce qui explique qu’on en retrouve dans le paysage que nous allons explorer. Un autre terrain permettant la formation de grottes est le calcaire du crétacé comme celui du Pont d’Arc.

Gras en contrebas du chemin

Plusieurs hypothèses existent quant à l’origine du nom de « gras » pour ces roches, par exemple qu’elles forment une terre grasse et collant aux chaussures. Une autre hypothèse serait que le nom vient de sa capacité à former des gradins, d’où parfois l’orthographe « grads ». 

Après une tranquille ascension sur un chemin entrant dans une zone boisée, nous commençons à descendre, et nous arrivons finalement dans les gras, des rochers et des blocs érodés longeant, entourant ou faisant dévier notre chemin. Nous descendons car la dalle de calcaire est penchée, ce qui explique aussi que toutes les grottes s’y trouvant penchent aussi, vers l’Est, car elles sont taillées par le sens que prend l’eau en ruisselant. Pour l’archéologue Henri Saumade, des habitats avaient été construits entre ces blocs de gras, puisqu’il ne suffisait qu’à installer un toit de branchages sur certains pour former un abri. Les archéologues plus récents cherchent toujours ces habitats et n’en ont trouvé aucune trace. L’hypothèse est cependant plaisante, et l’on peut se dire qu’il est difficile de retrouver des traces ce type d’habitat très simple.

La grotte des réfugiés de Darbres

Au cours de notre descente, nous passons devant une petite grotte, qui ne pouvait clairement pas accueillir la trentaine de visiteurs que nous sommes !

Cette grotte a été utilisée par les lussassois en août 1944, pendant une quinzaine de jour. A ce moment-là, les troupes allemandes sont en débâcle et remontent vers le Nord. La zone entre Lussas, Darbres et Saint-Laurent-sous-Coiron devient une zone de combat. Les habitants de la région sont terrifiés, en particulier par les exécutions perpétrées par l’armée allemande. Ils se sont donc réfugiés dans des grottes comme celle-ci, en particulier pendant la nuit et les périodes troublées.

L’intérieur de la grotte, au plafond très bas

Pendant 24 heures au cours de ces deux semaines, les combats se sont intensifiés entre Lussas et Lavilledieu, et une attaque des Forces Françaises de l’Intérieur a notamment eu lieu. Les ponts ont été coupés et les troupes allemandes se sont retrouvées dans une nasse. Les lussassois se sont donc cachés du mieux qu’ils le pouvaient, car le moindre chemin était envahi par des fuyards et des militaires. C’est une mémoire qui est encore très marquée, notamment à Lussas, puisqu’une importante explosion y a eu lieu : un camion d’essence a percuté une maison et a explosé, et cela à vingt mètres de la maison actuelle d’Alain et Jacqueline Claudin. C’est donc une période importante de l’histoire lussassoise.

Faune et Flore le long des gorges de la Louyre

Plus tard sur le chemin, nous croisons des points de vue, et enfin la descente vers la grotte du loup. Nous ne pouvons pas tous descendre en même temps vers la grotte, et nous faisons trois groupes. Pour ceux qui ne descendent pas encore, c’est l’occasion de s’asseoir, manger des cerises, et pour nous, cher lecteur, de parler de la faune et la flore que nous avons croisé sur le chemin.

Sur le chemin, au détour d’un point de vue, Bernard Riou, qui assiste aussi à la balade, nous a ainsi montré un nid de mante religieuse attaqué par des fourmis. La femelle mante religieuse dépose ses œufs dans ce type nid maçonné, peu de temps après son accouplement avec un mâle (qu’il lui arrive parfois de dévorer). Avec l’énergie qu’il lui reste, elle bâti l’abri maçonné pour ses œufs, et meurt de faim ou de fatigue peu de temps après. Malheureusement, dans notre cas, ses efforts n’ont pas été récompensés, puisque des fourmis rousses se repaissent des œufs.

Sur le chemin, nous avons aussi pu apprécier les parfums printaniers de plusieurs fleurs typiques de la région : chèvrefeuille, genêt et thym. Sur le calcaire se plaisent aussi les orpins, les orchidées, ou encore les campanules.

1. Ophrys abeille; 2. Orpin âcre (fleurs jaunes) et orpin blanc (feuilles rouges); 3. Thym visité par des abeilles sauvages 4. Campanules

Nous croisons aussi des ruines de parcs, maintenant recouverts par une jeune chênaie. Ils servaient à parquer les animaux, mais aujourd’hui plus aucun élevage n’est fait entre Saint-Laurent-sous-Coiron et Lussas, et d’anciennes prairies et parcs sont donc devenus des espaces boisés.  

La grotte du loup

Nous descendons un étroit chemin vers la grotte du loup, que nous ne pourrons pas visiter. Son propriétaire n’a pas donné d’accord pour la visite, mais surtout, les peintures sont difficiles à atteindre, et pourraient être facilement abîmées. La grotte est donc fermée quand nous arrivons devant, mais Alain Claudin nous offre de regarder son plan.  La grotte commence par un étroit boyau, débouchant sur une première grande salle, de 7 à 8 mètres de hauteur, et de 6 mètres de large. La grotte dans son ensemble fait 63 mètres. Après quelques éboulis et une autre salle, une troisième salle se présente, cette fois avec des peintures. Les deux salles suivantes ont aussi des peintures. Au fond de  la grotte, enfin, se trouve un aven rempli de débris tombés du plafond, et une cheminée de 18 mètres de profondeur.

L’entrée de la grotte est donc petite, mais son intérieur est large. Son sol est argileux et assez humide, et les visiteurs laissent facilement des empreintes. Si l’on touche l’argile avec les mains, il est ainsi possible de laisser des traces par inadvertance sur les murs. C’est donc peut-être fortuitement que les traces de main se trouvant dans la grotte ont été faite, mais à cause de leur emplacement, on ne peut pas non plus exclure l’hypothèse qu’elles ont été placées volontairement.

La grotte a été découverte en 1955, par l’instituteur de Saint-Laurent-sous-Coiron, Il est alors venu avec sa classe pour l’explorer, mais ils n’ont pas avancé très loin dedans. D’autres instituteurs, comme Paul Bellin, puis des archéologues, ont fouillé la grotte et s’y sont intéressés.  Le dernier est Ludovic Chabredier, qui a pu faire des relevés à la manière actuelle.

Reproduction des peintures de la grotte par L. Chabredier (dans Chabredier, L. « La grotte du loup ». Ardèche Archéologie, no 6 (1989), pp. 33‑39).

Les peintures sont des dessins de figures semblant anthropomorphes, et elles sont faites à l’aide d’un mélange de charbon et de terre. Elles ont été tracées rapidement, et sont datées d’environ 2800 à 2500 ans avant J.-C., soit de la fin de l’âge du Bronze. Les sigles seraient des représentations féminines et masculines. Des croix sont aussi présentes, ainsi que des mains glissées, comme essuyées sur la pierre, qui n’ont pas été retravaillées. Une des salles présente par ailleurs des croix plus régulières et plus travaillées, sans que l’on sache expliquer cette différence avec les autres croix de la grotte.

Un crâne de femme non daté a aussi été retrouvé dans la grotte mais il a été cassé, car rendu très friable par l’humidité. Des fragments de hache en silex, aujourd’hui conservés à Privas (à vérifier), et un crâne de chien ont aussi été retrouvés, toujours non datés. On peut au moins dire que la grotte n’a pas été un habitat, étant donné qu’aucune trace d’installation, comme de la céramique ou un foyer n’ont été retrouvés.

Après cet arrêt enrichissant, nous reprenons notre boucle pour revenir à notre point de départ. Nous passons au bas de Saint-Laurent-sous-Coiron, que nous apercevons, décoré de genêts. Et nous revenons finalement dans les gras, et au chemin emprunté en début de balade. C’est le moment pour certains d’entre nous de se séparer, mais aussi pour ceux ayant amené un pique-nique d’explorer le canyon des gras.